Des ponts thermiques vus du ciel

 

Les Saint-Exupéry de la thermographie sont à pied d’œuvre : trois vols ont déjà eu lieu, trois autres devraient suivre si les conditions météorologiques le permettent. Fait rare en France, nous dit-on, 40 communes du Grand Pays de Colmar se sont réunies pour se payer cette opération de grande ampleur visant à repérer les déperditions énergétiques.

 

 

 

Le ronron d’un Cesna bi-moteurs volant à 800 mètres au-dessus des habitations a peut-être été entendu la nuit dernière au sud de Colmar ; ce ratissage d’une zone 150 km² effectué mardi nuitamment a permis d’engranger de nouvelles informations concernant le comportement énergétique de nos résidences. C’est le 3e vol sur 6 au total de l’équipage d’Action Air Environnement, société « spécialisée dans la télédétection aérienne scientifique » et mandatée par le Grand Pays de Colmar (GPC) dans le cadre « de son plan climat air énergie territorial ».

 

Météo : le cauchemar de l’équipage

 

Neuf communes de l’agglomération colmarienne s’étaient jetées à l’eau dès 2009 pour en savoir plus sur les pertes de chaleur des bâtiments publics et privés, à l’aide d’un outil d’une précision diabolique : la thermographie aérienne. « En 2012, cinq communes de plus ont rejoint les autres », rappelle Jérôme Staub, responsable de la cartographie à la Communauté d’agglomération. « Aujourd’hui, nous sommes 40 communes » ; ce qui a permis de réduire sensiblement le coût par habitant : 1,10 €. « C’est unique en France », croit savoir Pierre Noguès, coordinateur du Plan climat au GPC. « Unique » car jamais en France, autant de collectivités souhaitent connaître les pertes énergétiques de leurs bâtiments.

 

Cette campagne va concerner plus de 50 000 habitants, les résultats étant disponibles au printemps. Hier, à l’aérodrome de Colmar-Houssen, le fameux Cesna modèle 337 et son équipement embarqué (conçu pour « des missions d’aérosurveillance ») ont été présentés par Alexis Giordana, p.-d. g. d’Action Air environnement. Un petit bijou à un million d’euros équipé d’une caméra infrarouge reliée à un ordinateur. Les conditions météorologiques doivent être exceptionnelles pour partir en vol d’une durée de 3 à 5 h : pas de neige (encore moins sur les toits des maisons), ni de brouillard, ni de lumière du jour, explique M. Giordana, vêtu d’une veste d’aviateur en peau de mouton. La température de l’air doit être optimale : moins de 6 °C. Une fenêtre ultra-étroite qui explique la rareté des vols effectués (toujours de nuit) par cette société établie à Cuers (Var), depuis que son équipage a fait escale en Alsace.

 

Atterrissage perpétuel

 

Dans le secteur de Colmar, c’est la chasse aux ponts thermiques ciblés par une caméra infrarouge dont le logiciel est capable de détecter une déperdition de 0,2 °C ; c’est dire la capacité de cet équipement d’une valeur de 500 000 € d’enregistrer la moindre variation de température, si toutefois les conditions météo sont toutes réunies. « La thermographie aérienne est l’une des acquisitions les plus difficiles qui soient », indique M. Giordana. La précision de l’information, y compris géographique (55 cm au sol), doit être exemplaire. D’où ce soin extrême apporté à la préparation des vols. Le Cesna équipé de deux moteurs, à l’avant et à l’arrière, permet d’éviter les mauvaises surprises. « Chaque acquisition d’information est géolocalisée via quatre GPS indépendants, des GPS différentiels assurant la coordination de chaque acquisition. De plus, ces instruments permettent au Cesna de maintenir son vol sur des axes pré-programmés extrêmement précis ; la vitesse optimale, c’est 130 nœuds, soit 240 km/h. »

 

La difficulté pour le pilote et l’ingénieur à bord est donc de maintenir le cap, comme s’ils étaient en atterrissage perpétuel. « Rester sur l’axe ILS pendant 3 à 5 h, c’est ce qui est le plus difficile ; l’ingénieur a la tête rivée sur son écran. » Comme il s’agit d’un balayage sectoriel (des allers-retours sur plus de 100 km²), dévier de cet axe serait fausser les résultats, du moins leurs précisions. La base de comparaison, c’est le SIG (Système d’information géographique) ; et si les informations recueillies par le capteur sont bonnes, il sera possible de superposer parfaitement les deux cartographies. La nuit dernière, l’équipage, Gilles le pilote et Xavier Jeannot, l’ingénieur, se sont « battus contre le foehn, une masse d’air chaude assez puissante se déplaçant vers l’Est ». Fatigué, le duo a tout de même assisté au point de presse dans l’un des garages de l’aérodrome. Trois autres vols sont programmés pour achever cette campagne de thermographie aérienne qui aurait dû intervenir l’hiver dernier ; des conditions météo exécrables avaient annulé l’opération.

 

 Article paru dans le journal L'Alsace
Edition du mer. 27 janvier 2016
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