Contrairement aux idées reçues, il n’est pas difficile de traverser les Vosges et d’atterrir en Alsace. Colmar vous ouvre ses portes, ses châteaux, ses caves, ses meilleures tables et des survols somptueux.


Salut bissama ! Trinker mehr eins ?
(1) Holà ! Un peu de patience, on goûtera les vins alsaciens plus tard. Pour l’heure, gemer geh flieg (2) à bord du DA42 de Dominique Roth, le président de l’aéroclub de Colmar. Même s’il vient juste d’obtenir son IR, inutile de voler embrumé. Et puis, en vol, le patchwork des vignes alignées comme les portées sur une page de musique rappelle les belles promesses de ce qui nous attend au retour. Elles sont partout, ces vignes, s’échouent sur la face est des Vosges, encerclent les villages ramassés dont les toits rouges et pentus laissent émerger un immanquable clocher. Il paraît que les villes sont tellement bien rangées qu’en vol de nuit on reconnaît l’Alsace à son éclairage.


Le chemin des Crêtes

Nous empruntons le chemin des crêtes, le long desquelles se déroule un chapelet de châteaux du XIIe siècle. Leur vue imprenable domine la vallée et le Rhin, fleuve frontière. Au-delà, c’est l’Allemagne et la Forêt-Noire. Au flanc d’un relief improbable, des pierres dressées en tourelles, celles des trois châteaux d’Eguisheim. « Ils appartenaient à trois frères », commence Dominique. On raconte que tous les matins ils avaient pour habitude de tirer une flèche dans le volet de la chambre fraternelle du château voisin en guise de réveil. Mais un jour l’un d’eux ouvrit son volet au mauvais moment. Il en perdit un oeil.

Plus loin, le plus beau d’entre tous attire immanquablement les aviateurs : le Haut- Koenigsbourg se dresse fièrement au-dessus de la plaine. Sécurité à gauche, virage par la gauche et cap sur les stations de ski vosgiennes. « Le col de la Schlucht sépare l’Alsace des Vosges. Tous ceux qui habitent au-delà de ce col, les gens d’ici les appellent les Français de l’intérieur », avoue mon pilote.
On passe au-dessus de Munster et de ses fromages, de Riquewihr et de son vignoble. Du ciel ou du sol, ce village médiéval mérite le détour, comme celui d’Eguisheim, que nous verrons en repassant plus bas que les trois châteaux. Plus loin dans la plaine, Neuf-Brisach : ville octogonale aux fortifications en étoile, construite par Vauban et qui offre un beau spectacle aux hommes du ciel.


Colmar, une ville Foehn

Cap retour sur le terrain, nous laissons la ville de Colmar à main gauche. Son nom vient du latin et signifie « colombier », n’en déplaise aux cigognes qui y prennent leurs quartiers à partir du printemps. Préfecture du Haut-Rhin, Colmar a vu naître, en 1834, le père de la Statue de la Liberté : Frédéric Auguste Bartholdi. Une réplique de 12 mètres de haut se dresse d’ailleurs sur le rond-point de l’aéroport. Autre caractéristique et pas des moindres, c’est la commune la plus sèche de France : les précipitations atteignent 530 mm en moyenne par an (Nice : 767 mm par an). «C’est grâce à l’effet de foehn », explique Dominique Roth. La ville est en contrebas du Grand Ballon (4672 ft), le point culminant des Vosges. La masse d’air s’assèche en passant la montagne et se réchauffe par compression en descendant vers Colmar. Les nuages restent accrochés de l’autre côté, où ils déversent leur eau, laissant les 67 000 Colmariens et Colmariennes au sec.

Chaque année, plus de 3 millions de visiteurs viennent ici. Le charme de Colmar et sa gastronomie n’y sont pas étrangers. Il y a aussi l’attrait des musées : la maison de Bar tholdi, le muséum d’histoire naturelle et d’ethnographie, le musée du jouet et des petits trains, le musée d’Unterlinden (qui abrite le célèbre retable d’Issenheim). Il y a la foire aux vins, il y a les festivals de jazz et de cinéma… «Chaque saison a son charme », s’enorgueillissent les habitants.


LFGA revit

L’avion arrive vite en finale. Devant nous, la 01-19 en dur est bien là, et les avions y sont plus que jamais présents. Dire qu’il y a quelques mois la plate-forme était promise à la disparition par un maire peu soucieux de la richesse que représente un tel site… Ses administrés ont été suffisamment responsables et battants pour conserver leur terrain, et LFGA revit après sept ans d’un combat « aérien » sans merci.

Parmi les grands généraux de la bataille, il faut citer sans conteste Olivier Alméras, Dominique Roth, Philippe Dufour et Michel Moll. «Mais c’est toute une équipe qui a gagné, c’est l’ensemble des gens qui se sont mobilisés qui remportent cette victoire », ajoute en toute modestie Olivier. Citons également Willy Liebherr, l’industriel, le pilote, sans qui l’aéroport de Colmar n’existerait sûrement plus aujourd’hui. Il installe ses locaux sur le site afin de dynamiser la plate-forme.
Au sol, les membres du club, les pilotes de vol à voile, ceux d’Aéro Rétro, les propriétaires privés et les constructeurs amateurs sont tout de suite sympathiques. Certains ont cet accent alsacien si particulier… L’alsacien ne s’écrit pas, c’est un dialecte. Aussi quand vient le moment où vous demandez à un pilote de vous épeler un nom de lieu un peu compliqué, il vous répondra simplement, « ça s’écrit comme ça se prononce », et c’est là que les problèmes commencent. Et attention : ne dites jamais qu’un Alsacien est un Allemand, c’est une grave erreur diplomatique.

L’aéroclub de Colmar, ce sont 130 membres, soit 50 élèves et 80 pilotes brevetés (dont une dizaine qualifiés vol de nuit). Dominique Roth en est le président depuis sept ans. Ce chirurgien-dentiste a un côté « Baby » alsacien (voir notre escale à l’AC du Beaujolais, IP 622, p. 50) : lui aussi a une Harley Davidson, une vie hyper active et une grande générosité dans ses engagements. «Ma femme me dit que je ne fais rien », lâche-t-il dans un large sourire. Pourtant, depuis qu’il a pris les rênes du club, il a imprimé une nouvelle dynamique. Il s’est entouré des meilleurs trésoriers : Philippe Lambert et Jean-Pierre Conrad, tous deux issus du milieu industriel. « Il faut avoir une gestion rigoureuse dans la vie d’un club. Il faut un prévisionnel qui tienne la route et assurer la sécurité des vols. Je suis intransigeant sur ce point », déclare le président, avant d’ajouter fièrement : « Il n’y a pas eu d’accident à Colmar depuis vingt-cinq ans ». Il s’est aussi entouré d’un chef pilote enthousiaste, Éric Bonin, et d’une jeune équipe d’instructeurs, dont Ivan Dietrich, Alphonse Clément, Jean-Guillaume Alleman, Jean-Yves Petit et Nicolas Libis. Ils sont presque tous des pilotes professionnels. « Ce sont les élèves dynamiques qui nous donnent envie de progresser, raconte Éric Bonin. On se met en quatre pour eux. Avec les jeunes, j’organise des sorties en dehors du club, ce qui se traduit par une bonne ambiance de groupe à l’intérieur du club. » Et, on le voit, à l’AC de Colmar les jeunes sont partout.


Une flotte d'Ecolflyer
 
La flotte, elle, se compose de trois Ecoflyer et d’un D221 à train classique. Les appareils sont dans un état impeccable, on remarque vite que les pilotes en prennent soin : « Ici, il n’y a pas un moustique sur les bords d’attaque de nos avions, car les pilotes lavent leur machine systématiquement après leur vol », explique Dominique. Typiquement le genre de comportement qui forge l’airmanship…

La flotte d’Ecoflyer était un pari risqué, mais la suite de l’histoire prouve qu’il valait d’être tenté : «On était à 130 € / hdv sur nos précédentes machines. Avec ces trois nouveaux avions, on est descendus à 110 €. De plus, on propose une carte de 16 heures de vol donnant droit à une réduction de 10%, ce qui ramène le coût de l’heure à 99 €. Depuis, on a remarqué que les pilotes qui volaient 20 heures en font maintenant 28 et acquièrent plus d’expérience pour le même budget, ce qui va dans le sens de la sécurité ». CO, LM, AR : voilà comment finissent les immatriculations respectives de ces trois Ecoflyer.


Pilotes gourmets

On ne saurait venir à Colmar sans y découvrir les saveurs locales. Au bar de l’Aéro Rétro, l’association voisine dont les 25 membres exploitent F-PIPA (un D112), les discussions vont bon train. Gilbert Pâques, le président aux airs lointains de Franck Dubosc, a son avis sur le sujet : «Déjà, notre choucroute est meilleure que celle des Allemands. Nous avons aussi le baeckeofe… » Comment ça s’écrit ? La voix d’Alain Moll retentit alors : «Que celui qui a prononcé ce mot l’assume orthographiquement », et tout le monde de rire. Gilbert poursuit : «C’est un plat inventé par les bûcherons. Ils mettaient des légumes et trois sortes de viande (pied de cochon, veau et boeuf) dans une cocotte, le tout arrosé de vin blanc. Ensuite, ils fermaient hermétiquement le couvercle avec de la mie de pain et laissaient mijoter quatre heures sur un feu pendant qu’ils travaillaient. Ah ! et la flame - kuchen ! c’est une pâte à pain garnie de fromage blanc, lardons et oignons. Et puis le coq au riesling, les tripes au riesling, et le fameux dessert : le kougelhoph glacé ! » Côté vins, c’est vers José Éblin, membre de l’association, pilote, vigneron depuis plusieurs générations, qu’il faut se tourner. « Il y a sept cépages en Alsace, explique-t-il, le riesling, le gewurztraminer, le sylvaner, le pinot noir, blanc et gris, et le muscat d’Alsace. » Pourquoi donc ces trois couleurs de pinot ? «En fait, le génome de cette baie est instable. On peut donc avoir des baies de couleurs différentes. Le gris prend ce nom à cause de la pruine, une pellicule cireuse qui protège le grain et lui donne une couleur grise.» Allez donc rendre visite à José lors de votre passage (voir adresse p. 50), il est intarissable et a des connaissances encyclopédiques. Mes préférences ? Le pinot gris vieilles vignes 2003 et le gewurztraminer vendanges tardives de 2005 ! Le déroutement vaut vraiment le coup.
 

Colmar, c'est facile

Avant de partir, allons saluer les constructeurs amateurs (comme Rolland Barg, dont le RV colore le ciel de rouge), ainsi que les vélivoles. Il est prévu que ces derniers déménagent bientôt et s’installent juste à côté de l’aéroclub, en bons voisins. La plate-forme se restructure.

Rassurons les futurs pilotes de passage : «Ce n’est pas difficile de venir ici, même si la carte fait peur de prime abord, explique Dominique Roth. Épinal, Saint-Dié, Colmar : voilà l’itinéraire habituel. Les Vosges ne sont pas très élevées, et les militaires sont extrêmement serviables à la radio si jamais les zones sont actives. De plus, en dessous de 6 200 ft, vous n’êtes pas dans l’espace aérien de Bâle. » Hopla, guys ! (3) À vos avions, et aguada! (4).

(1) Bonjour tout le monde ! On boit un coup ?
(2) On va voler
(3) Allez hop, les gars!
(4) Bon appétit !

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Jean-Marie URLACHER

Article paru dans le magazine Info-Pilote
n° 626 - mai 2008
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