Ancien pilote de chasse, le lieutenant-colonel Réal Weber voue de son propre aveu une véritable passion à l'aéronautique et au pilotage. Impossible d'en douter après l'avoir rencontré.


C'était une purée de pois indescriptible, qui n'en finissait pas de durer. Trois semaines, cloué au sol, à se morfondre, à espérer ue petite éclaircie pour aller se décrasser les ailes. Et puis enfin la voilà cette fenêtre tant espérée, une trouée tout au plus qui laisse entrapercevoir un coin de ciel bleu. Suffisamment pour convaincre le commandant de la base de donner le feu vert pour une mission. Deux avions seulement, dont le Mystère IV de Réal. Une fois là haut, il ne faudra surtout pas se quitter, voler aile contre aile, Réal légèrement en retrait par rapport à son leader.

Rien pourtant ne se passe comme prévu. Les deux avions prennent de l'altitude, grimpent à 1200 mètres mais de ciel bleu plus la moindre trace. Le brouillard est tellement dense que les deux pilotes perdent le contact visuel. Le Mystère IV prend étonnemment beaucoup de vitesse. Mach 1 ; 1,1 ; 1,2 ; 1,25... soit 1500 km/h. La méchanique est pourtant sensée être limitée à Mach 1,12. Une seule explication, l'avion est en piqué. En vol, et a fortiori lorsque la visibilité est nulle, il faut toujours faire abstraction de la position dans laquelle on pense être et se fier exclusivement aux instruments de vol. Rien ne semble coller toutefois. L'altimètre indique que l'appareil est en chute rapide, l'horizon au contraire que tout est pour le mieux. C'est en une fraction de seconde qu'il faut analyser la situation, prendre la bonne décision. Si l'horizon est défectueux, l'avion est incontrôlable. S'éjecter ? Une fois franchi la vitesse supersonique, le pilote n'a pas la moindre chance d'en réchapper, inévitablement broyé par la résistance de l'air. A ce moment Réal a-t-il vu défiler sa vie en accéléré comme l'affirment nombre de ceux qui ont frôlé la mort de très près ? "Pas vraiment, j'ai surtout pensé à appliquer tout ce qu'on avait appris". Un rare sang froid qui lui permet de redresser l'avion. Lorsque l'altimètre stoppe sa course folle, le Mystère IV est à moins de deux cents mètres de la surface de la mer !

A vendre maison avec grand garage

L'incident n'entame en rien la passion pour le pilotage de Réal Weber. Bien au contraire, et alors qu'il n'en est qu'à la mi-temps de sa carrière de pilote de chasse, entre une affectation à Djibouti et une autre à Dijon " à faire le moniteur d'auto-école " -entendez par là qu'il apprend aux jeunes pilotes à tirer au canon et à poser leur mirage de nuit- il prépare son retour à la vie civile. Car Réal ne se voit pas faire autre chose que piloter.

Burt Rutan, un ingénieur de génie de la Nasa, celui-là même qui, quelques années plus tard, sera à l'origine de la navette Voyager, vient de concevoir un avion de voltige, le Variez, dont les performances sont des plus séduisantes. L'avion n'est pas construit en série, son coût serait bien trop élevé. seuls les plans sont disponibles. Le jour même où Réal s'enthousiasme à l'idée de construire son propre avion, il se met en quête d'un local, visite une maison et se décide à la seule vue de la taille du garage.

- " Vous ne voulez pas jeter un coup d'oeil au reste du bien avant d'arrêter votre choix " suggère le promoteur.
- " Non, non j'achète ! "

Et Reva devint réalité

La scène se passe en 1979. Quatre ans et quatre mille heures de travail plus tard, l'avion auquel Réal a apporté de nombreuses améliorations, effectue son premier vol. Les sensations sont fortes d'emblée. Le Variez, rebaptisé Acroez, se comporte comme un petit avion de chasse. Lors des meetings aériens, le public est enthousiasmé par les performances de l'appareil. Impossible dans ces conditions d'en rester à des démonstrations en solitaire. Et Réal de rêver à la création d'une patrouille de voltige aérienne. L'achat d'un deuxième appareil et bientôt d'un troisième, l'arrivée en renfort de plusieurs pilotes de chasse d'expérience permet au projet de se concrétiser. La patrouille Réva voit le jour en 1993 sur le terrain d'aviation de Colmar-Houssen. Inconnue à ses débuts, elle se bâtie rapidement un nom dans le monde de la voltige, truste les podiums dans les grands concours internationaux, participe aux meetings aériens les plus prestigieux en Angleterre, en Italie, au Japon... Le public japonais qui d'ailleurs ne s'y est pas trompé, attribuant à l'équipe le titre de " Space kmights ", autrement dit " les chevaliers du ciel ".

Pascal Herrscher

Article paru dans la revue Haut-Rhin Magazine n°17 - Conseil Général du Haut-Rhin - http://www.cg68.fr/
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